Slogans féministes sous le regard de Niki de Saint-Phalle

LA PENSÉE DU DISCOURS  25 MAI 2011
 
 

Dimanche dernier 22 mai l’association Osez le féminisme ! avait appelé à un rassemblement place Igor Stravinski à Paris pour protester contre les remarques sexistes et pour certaines clairement phallocrates d’hommes politiques et médiatiques français à propos de l’affaire DSK. Le thème du rassemblement était bien celui-là, il est utile de le préciser dans un moment où doit s’exercer une réflexivité discursive et une vigilance lexicale soutenues : refuser les propos sexistes et la minimisation voire la négation de l’évocation d’un crime grave à l’égard des femmes (elles sont très largement majoritaires chez les victimes de viol, comme le montre V. Le Goaziou dans son livre tout récent, écrit à partir d’une ample enquête sur des données judiciaires). Le rassemblement a donné lieu à quelques slogans intéressants, soit dans la veine classique, soit dans une veine plus novatrice et humoristique. Petite revue en texte et en image.

Le slogan « officiel » du rassemblement avait été lancé en même temps que l’appel à manifestation : « Sexisme. Ils se lâchent, les femmes trinquent » .

L’increvable « Nous sommes tou.te.s des… » a été décliné en « Nous sommes toutes des femmes de chambre » , « Nous sommes toutes des Guinéennes » et « Nous sommes toutes des Africaines » . Cet efficace slogan fonctionne en tous temps et en tous lieux car il est indexical, c’est-à-dire qu’il est appropriable par tout un chacun à la première personne, du singulier ou du pluriel. Il vient d’une chanson de Dominique Grange, « La pègre », sortie en 1968, à partir de laquelle Daniel Cohn-Bendit a popularisé le célèbre « Nous sommes tous des juifs allemands » . Les paroles originales du refrain sont les suivantes :

Nous sommes tous des Juifs et des Allemands
Nous sommes tous des dissous en puissance
Nous sommes tous des Juifs allemands !

Et les couplets continuent la déclinaison :

Nous sommes des gauchistes,
Des aventuristes
Marxistes léninistes guévaristes ou trotskystes,
Nous sommes des anars
Nous en avons marre
De voir vos flicards quadriller nos boulevards (D. Grange, « La pègre », 1968).

Ce slogan mène une riche vie discursive puisque j’ai pu relever : « Nous sommes tous des immigrés », « Nous sommes tous des étrangers », « Nous sommes tous des sans-papiers », « Nous sommes tous des Tibétains », et même « Nous sommes tous des juifs musulmans » (Nadia Benhelal et Philippe Corcuff, en 2004 sur le site Bella Ciao). Mais revenons à nos femmes de chambre guinéennes.

Les autres slogans étaient plus contextuels, liés à l’affaire DSK (mention de la désormais fameuse « soubrette ») :

— Sexisme. Ça part en couilles !

— Les soubrettes sont en colère !

— Le machisme tue les femmes

— Sortons l’homme des cavernes

— Femmes coeur battant de la démocratie

— Droit de troussage ? Droit de cuissage ? Mort d’homme ? On est où, là ? Le féminisme est un humanisme

— F. H. égaux en droit cherchent traitement équitable

— Non aux régressions, non aux violences. Défendons les droits des femmes !

Un panneau assez important proclame :

Le sexisme, premier racisme de l’histoire
Le viol, premier outil politique
Le viol, première arme politique
En tous temps
en touts lieux (sic)

On ne pouvait s’empêcher, en regardant la fontaine de Niki de Saint-Phalle et de Jean Tinguely, devant laquelle une femme-sandwich affichait : « Respect mutuel et dignité. Now. Tout de suite » , de penser à cet ouvrage écrit tardivement, Mon secret, émouvant témoignage, écrit à la main, du viol de l’artiste, à 11 ans, par son père, banquier respecté.

 
— Marie-Anne Paveau, La pensée du discours