LE POINT 18 FEBRUARY 2012
Après une inauguration en grande pompe à Chaumont, le Centre Pompidou mobile entame sa deuxième escale à Cambrai.
À gauche, la rue d’Alger. À droite, la rue de Nice. Des promesses de Méditerranée qui, sous les ciels bas du Nord, ont presque des airs de pied de nez. Avaient, plutôt : sur la place de la République, à Cambrai, les tentes bleues, oranges et rouges du Pompidou mobile viennent désormais dynamiter le gris et le blanc laiteux. Le tout premier musée nomade vient de s’installer pour trois mois, entre les façades art déco du Crédit agricole et de la chambre de commerce.
“Nous sommes désormais certains que notre structure est bel et bien itinérante, ça marche !” sourit Loïc Julienne, architecte avec Patrick Bouchain du projet. Il y a un mois encore, le musée mobile était à Chaumont, dans la Haute-Marne, où le président de la République est venu l’inaugurer le 13 octobre 2011. Trois chapiteaux, combinables les uns aux autres ; de la toile de cirque au-dessus, de la toile armée en dessous, soutenues par des armatures métalliques : le tout doit pouvoir être monté et remonté, accrochage des oeuvres compris, en quelque quatre semaines.
Réponses
Pour sa première étape, le Pompidou mobile avait été installé sur un ancien terrain militaire. À Cambrai, il est accolé à l’hôtel de ville : on y accède par l’entrée d’honneur, celle des grands jours et des mariages. Dans trois mois, il migrera vers le port de Boulogne-sur-Mer. À son bord : Picasso, Kupka, Dubuffet, Klein, Niki de Saint Phalle et d’autres : 15 joyaux de Beaubourg. “Il a été difficile de choisir les oeuvres. Il a été plus difficile encore de devoir expliquer qu’elles ne pourraient pas être prêtées pendant un an”, raconte Emma Lavigne, conservatrice pour l’art contemporain au Centre Pompidou.
Cette première exposition (elle changera après l’étape de Boulogne, lorsque le musée partira vers le sud) est consacrée à la couleur. “Exposition”, le terme n’est d’ailleurs pas le bienvenu. “Il s’agit plutôt d’un accrochage, comme nous en organisons régulièrement à Beaubourg, d’un parcours dans les collections”, souligne Emma Lavigne. La couleur, donc, qui, chez les très grands, manifeste à la fois l’unité d’une recherche qui parcourt le XXe siècle et l’extrême singularité de chaque oeuvre. L’orange presque irréel du monochrome de Klein répond à L’hommage au carré de Josef Albers, aux Deux Vols d’oiseaux d’Alexander Calder (de très légers courants d’air, impensables au musée, rendent dans la tente le mobile à sa première vocation), aux Grands Plongeurs noirs de Fernand Léger ; L’aveugle dans la prairie de Niki de Saint Phalle contemple la mélancolie de La femme en bleu de Picasso.
Populaire
Quatorze ou quinze oeuvres, pas plus. Pour des raisons pratiques bien sûr, mais pas que. “Je suis frappé, explique Alain Seban, président du Centre Pompidou et inventeur du Beaubourg itinérant, de voir comment dans les musées les visiteurs courent d’une pièce à l’autre. L’idée est ici de faire comprendre comment, si on donne du temps aux oeuvres, elles se mettent à nous parler.” Difficile en effet, dans cet espace restreint, de ne pas laisser le cinéma de couleur d’Olafur Eliasson répondre au Rythme de Sonia Delaunay. Difficile de ne pas écouter L’Estaque de Braque parler à la Double Métamorphose de Yaacov Agam. Difficile de ne pas s’arrêter : parce qu’on voit peu, on voit mieux. D’autant que, contraintes de conservation obligent, les toiles sont éclairées de l’intérieur des caissons qui les protègent : pas de reflet qui vienne perturber la vue.
Le projet n’est pas de faire venir l’institution dans des “déserts culturels”. Le Nord-Pas-de-Calais n’a d’ailleurs rien de tel : la région, malgré les clichés qui lui collent à la peau, est la plus riche en musées de l’Hexagone après l’Ile-de-France. La Piscine de Roubaix travaille avec Orsay, Arras noue un partenariat avec Versailles, Roubaix et Tourcoing travaillent à la préfiguration d’une antenne de l’Institut du monde arabe… Rien moins que le vide, donc. Il s’agissait, plutôt, de faire revivre un appétit culturel et de casser les inhibitions. Pour cela, explique Alain Seban, il fallait un événement “festif, joyeux, populaire”. À Cambrai, lorsque les tentes ont commencé d’être montées, les gens croyaient dur comme fer à l’arrivée d’un cirque…
Et la démarche semble fonctionner. À Chaumont, le Pompidou mobile a reçu 35 000 visiteurs, quand la ville n’en compte que 23 000. À Cambrai, les créneaux des visites scolaires sont déjà pleins. Çà et là, au long du parcours, des références au Pompidou de Paris ont été glissées pour que le public, à l’avenir, s’y sente chez lui. Pour être sans étiquette, le geste n’en est pas moins politique au sens le plus noble du terme.
Marion Cocquet, Le Point
Image: Francis Picabia, “l’Arbre rouge (Grimaldi après la pluie)”, vers 1912 ; Pablo Picasso, “Femme en bleu”, 1944 ; Frantisek Kupka, “La Gamme jaune” (détail), 1907. © Adagp/Succession Pablo Picasso, 2011/Adagp, 2011 / Montage Le Point.fr